RDC / Lumumba / CE CORPS N’EST PAS SOLUBLE DANS L’ACIDE

Depuis son arrestation, le 2 décembre à Port-Francqui, sur la rivière Kasaï, jusqu’à son assassinat près de Lubumbashi, le 17 janvier 1961, on sait avec une relative exactitude quel a été le martyr de Patrice Emery Lumumba. Les responsables sont connus, la participation active des Belges, celle de Mobutu, la complicité des puissances occidentales, de même. Peu de zones d’ombre, jusqu’à la disparition du cadavre et l’absence de sépulture qui trouve une explication confirmée par les principaux acteurs, responsables de cette disparition. Pourtant, c’est ici que la peinture s’alimente, dans ce mystère maintenu. Le corps interdit, volé et envolé, le corps sorti de la tombe.


La figuration commence avec le mystère. Depuis sa mort, Lumumba inspire d’innombrables œuvres populaires. Et dans nombre de ces travaux, il apparait souvent à la façon du Christ. Il faut dépasser une fois pour toute l’interprétation occidentale qui veut y voir une forme de naïveté. Lumumba a agi sur les imaginaires comme un prophète. Dans son discours devant les Nations-Unies, le 30 juin 1960, il prononce cette phrase qui laisse présager beaucoup : « Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir lorsqu’il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière. » Les Belges, tout comme les Américains et les Français ont saisi très vite la menace (virale) du propos. Les uns comme les autres doutent des capacités locales à contrôler cette énergie. C’est cette incarnation qui leur pose un singulier problème.

 » Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir lorsqu’il travaille dans la liberté, » ONU, 30 juin 1960

Il y a une phrase de Jean-Paul Sartre qui résume assez bien cette dimension et l’aura que la mort donnera de suite au personnage : « Mort, Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique tout entière (…);  en lui tout le continent meurt pour ressusciter .» 

Le 17 janvier, Patrice Lumumba est fusillé, sous les ordres d’un officier belge. Son corps est enterré, puis il sera ensuite sorti de terre. On suppose qu’il est alors plongé dans un bidon d’acide sulfurique. En Afrique, cette absence de sépulcre est un grave manquement. Et face à ce mystère, les pinceaux restent immobiles, dans l’incapacité de la couleur.

Corps apparu et disparu, voilé et dévoilé.

« Mort, Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique tout entière (…);  en lui tout le continent meurt pour ressusciter .» J-P Sartre

En 2016, Bambi Ceupens (ethnologue) et Sami Baloji (artiste) ont été à l’origine d’une exposition sur l’art congolais. Deux ans plus tôt, le musée de Tervuren (Bruxelles) a acquis un grand nombre d’œuvres populaires qui figurent la rue, la vie, les moments forts de l’existence sociale. Bien sûr, la trajectoire de Lumumba y tient une place importante. Tshibumba Kanda Matulu et de Jean Burozi Kyankuo, pour ne citer qu’eux, ont donné une production remarquable de ces sujets, le discours historique de l’ONU notamment. D’autres artistes ont abondement nourri ce fond de 1900 œuvres rassemblées par le chercheur Bogumil Jewsiewicki. Un éclairage nouveau, pour Mme Ceupens. « L’acquisition de ce genre de collection entre clairement dans le processus de décolonisation du Musée. »


« Ici en Occident, les gens y voient des couleurs, de l’humour alors qu’en réalité, les messages qui sont véhiculés sont très sérieux et parfois très violents, surtout envers la période coloniale. C’est cette ambiguïté qui fait la richesse et la force de cette peinture. », expliquait-elle au média en ligne Bruzz.

Début 2020, la parution de l’ouvrage de Matthias De Groof s’inscrit dans la même dynamique. Sur la couverture, Patrice Emery Lumumba apparaît au travers des nuages. Le ciel est d’un bleu « renaissance » et le leader politique porte ses lunettes. Dans un autre tableau plus ancien (1997), signé par Jean Burozi, Lumumba figure de la même façon, aux côtés de Simon Kimbangu, pasteur et prophète. Dieu n’est pas loin. Au pied de l’apparition, le peuple lève les bras en signe d’adoration.

Lumumba in the Arts, sous la direction de Matthias De Groof aux Leuven University Press, 2020, Prix : 65 €.
R Calmé (ZO mag’)
Photos DR et MRAC Tervuren

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