Les gens se retournent dans la rue. Les femmes rient, les hommes crachent par terre. C’est tellement drôle, un homme qui se déguise en femme. Tellement impossible… Il y a quelques mois, Moane Foé (Parice dans la communauté) était sur le réseau. Les rires, il s’en moque. Les vacheries quotidiennes aussi. De son propre aveu, il adore le buzz. La photo aussi. Et la mode qui lui redonne sa liberté d’être. Des images de lui circulent, dans cette ambiguïté du genre, moitié homme, moitié femme, avec l’humour, avec la gravité, avec ce sentiment d’une vie tellement complexe. Parce qu’il y a la nuit, les paillettes. Et puis le jour se lève, comme dans la chanson d’Aznavour.
Moane Foé est le premier mannequin transgenre au Cameroun. Avec Cesaria , ils sont à l’origine de l’association Positive Vision, créée en octobre 2015. Une trentaine de jeunes les ont rejoints, qui ont en commun cette interrogation du genre. Cesaria est styliste de mode, son nom est connu au Cameroun, « Akiki », collections androgynes et totalement inédites. « A cette époque, explique-t-il, il était conseillé de se constituer en groupe. Les raisons étaient liées à l’information sur le VIH et les IST, mais aussi la valorisation de soi, le rejet de l’ostracisme, l’entraide donc… » Effectivement, dans cette société africaine, l’indifférence au transgenre est entière… quand l’attitude officielle n’est pas répressive.
« Nous demandons juste de pouvoir exercer notre travail, mannequins, chanteuses, créateurs de mode… Nous demandons juste d’être respectés comme êtres humains. » Akiki Césaria.

Se regrouper, échanger, et se soutenir. Parice évoque la grande précarité, le désarroi psychologique, et à ce moment la difficulté d’accès à des soins. En 2017, le PNUD (Programme des Nations-Unies au développement) a fait appel à lui pour représenter la communauté transgenre camerounaise. Le colloque était en Afrique du sud. « C’était assez formidable de voir que des institutions prenaient la mesure des problèmes qui se posaient à ces personnes. Les problèmes de santé, le VIH, l’accès aux traitements. » On est loin du monde de la nuit… et du rire des passants.
Cinq ans ont passé et le combat n’est toujours pas gagné. Des progrès certes sont réalisés. A commencé par la reconnaissance et la légalisation de Positive Vision, en mars 2019. Elle est d’ailleurs habilitée à mener des actions de prévention et de sensibilisation dans la lutte contre le VIH et les IST. « C’est une chose importante, parce que jusqu’ici on associait les personnes transgenres et l’homosexualité. Au Cameroun, article 347-1 du code pénal, l’homosexualité tombe sous le coup de la loi. », explique Cesaria. Premier pas essentiel.
Les choses ont donc bougé. Il n’en reste pas moins ce rejet. « Nous demandons juste de pouvoir exercer notre travail, mannequins, chanteuses, créateurs de mode… Nous demandons juste d’être respectés comme êtres humains. » Cesaria fait une courte citation. Elle la connaît par cœur. Une petite phrase tirée de la Déclaration des droits de l’Homme. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux et ont le droit à la sécurité, à la dignité, à la libre circulation et expression. », dit-il de mémoire. Un rire, à l’autre bout du fil. Parice veut rajouter quelque chose. C’est vrai, il adore les robes et les bijoux. Et le maquillage aussi. « Maman a eu cinq garçons. Elle rêvait d’avoir une fille. Moi, j’étais le dernier. » Puis Il pousse un petit air de chanson. Le même qu’il a écrit sur son Facebook : « Je suis free, oui, j’invente ma vie / Ne me demandez pas qui je suis / Moi je suis le même depuis tout petit… ».

R. Calmé
Photos DR
Contact Positive Vision
Tél. : (+237) 671 86 96 36
E-mail : positivevision@yahoo.com
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